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La main au Collet
17 janvier 2018

L’hiver, doucement

« J’ai pensé que le gamin était maltraité, j’y ai pensé très vite, peut-être pas les premiers jours mais pas longtemps après la rentrée, c’était quelque chose dans la façon de se tenir, de se soustraire au regard, je connais ça, je connais ça par cœur, une manière de se fondre dans le décor, de se laisser traverser par la lumière. Sauf qu’avec moi, ça ne marche pas. Les coups je les ai reçus quand j’étais gosse et les marques je les ai cachées jusqu’au bout, alors à moi on ne la fait pas. » Hélène, prof de SVT dans un collège parisien, remarque l’attitude étrange d’un de ses élèves de 5e. Une sensation de déjà vu, une empathie intuitive lui dicte que quelque chose cloche chez Théo Lubin. Mais quoi ? Dans les cours qu’elle donne aux 5e B, tout son esprit est tendu vers ce gosse-là, pour tenter de déceler pourquoi son instinct est en alerte. Bien sûr, elle songe à son propre démon, la maltraitance, mais rien ne perce. Pourtant les signes avant-coureurs de décrochage sont là. Elle en parle à d’autres profs, au proviseur… Mais que faire sans preuves ? Le collège n’a pas réponse pour ça. Pourtant, ça la taraude, ça ne la lâche pas… Que faire d’une intuition, à part en faire trop et tomber dans une impasse ? A douze ans, Théo est un gosse relativement transparent, « silencieux » d’après ses camarades. Hélène semble la seule à avoir perçu qu’il glisse gentiment sur une pente qui peut devenir fatale. En réalité, Théo boit en cachette des litres d’alcool dans l’enceinte du collège. C’est d’abord un réconfort, se faire des sensations, oublier sa vie, c’est aussi un jeu excitant de braver l’interdit. Il entraîne son unique copain Mathis dans son délire. Mais où s’arrête le jeu quand on en vient à se faire vraiment peur ? Car pour Théo, boire n’est plus un jeu. La vie est un grand malaise coupé en deux pour ce jeune garçon livré à lui-même dont les parents divorcés ne communiquent plus. Il vit en garde alternée une semaine sur deux chez le père et la mère sans que nul ne sache quoi que ce soit des semaines passées chez le père… sauf peut-être Mathis. La mère de Mathis, elle, n’aime pas trop ce copain que son fils ramène de temps à autre à la maison. Elle ne saurait pas trop dire pourquoi, mais une influence négative émane de ce garçon. Mais elle a d’autres préoccupations… car récemment elle s’est mise à parler toute seule. Est-ce la folie ? La mère de Théo, elle, tente de faire bonne figure, repliée dans la haine du père dont elle n’attend plus rien, ni probablement d’aucun homme d’ailleurs. S’occuper de son fils, travailler, cette femme de devoir tente sinon d’assurer, au moins de « tenir ». Mener sa barque, bien droite, dans une grande solitude, en priant pour qu’il n’y ait pas de vagues pour la faire tanguer. Même si la gîte déjà l’aveugle. Derrière ce titre énigmatique, Les Loyautés, et les personnages de ce roman choral, Delphine de Vigan explore ce qui nous relie les uns aux autres. Tous ces contrats implicites tissés entre les humains. L’amitié indéfectible entre deux collégiens qui les unit pour le meilleur et pour le pire. Les promesses faites à soi-même comme celle d’un professeur de bien faire son job et d’aller au bout quitte à en écorner les règles. Les liens tacites qui unissent les couples avec des vérités pas toujours bonnes à dire, qui étouffent ou qui rendent fou. Toutes ces loyautés implicites et sincères, ne sont-elles pas des lâchetés quand le grand désastre est en marche et qu’il vaudrait mieux regarder la vérité en face ? On ne lâche pas ce roman qu’on lira d’une traite. Fine observatrice des relations humaines, Delphine de Vigan nous alerte sur les failles de notre société, décrit nos fragilités et nous fait soupeser ce qu’est le vrai courage face aux multiples opportunités de rester hypocrite avec bonne conscience. Les Loyautés est un texte sobre, subtil, d’une force magistrale. Il enseigne le courage et le discernement. L’auteur a déjà reçu le Goncourt des Lycéens, pour D’après une histoire vraie en 2015, dommage. Car Les Loyautés était un candidat rêvé. Les Prix peuvent-ils repasser le bac ?

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